
Lien entre les différents types de graisses et le risque de cancer colorectal
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Les liens entre alimentation et cancer suscitent depuis longtemps interrogations et spéculations, parfois même en caricaturant certains nutriments. Parmi ceux-ci, les graisses occupent une place centrale : tour à tour diabolisées puis réhabilitées, elles nous interrogent tout particulièrement sur leur éventuel rôle dans le développement du cancer colorectal. La science, de son côté, avance parfois à contre-courant des idées reçues. Les résultats d’une vaste méta-analyse menée sur plus de deux millions d’adultes bousculent en effet plusieurs certitudes, dessinant un tableau plus nuancé et complexe du lien entre la consommation de graisses et le risque de cancer colorectal.
Ce que révèlent les études
Plus de 21 études de cohorte ont été passées au crible, compilant les données alimentaires de plus de deux millions de personnes adultes dans le monde entier. Certains chiffres interpellent immédiatement : les individus consommant le plus de graisses saturées présentaient un risque de cancer colorectal diminué de 9 % par rapport à ceux qui en consommaient le moins. Pour le cancer du côlon, une baisse de 14 % du risque était observée.
Point remarquable, cette diminution du risque semblait apparente jusqu’à une consommation d’environ 40 grammes de graisses saturées par jour. Au-delà de cette dose, l'effet se stabilise et devient plus incertain.
Un paradoxe nutritionnel
Difficile de ne pas être surpris par de telles conclusions. Historiquement, l’alimentation occidentale, souvent pointée du doigt pour sa richesse en viandes, charcuterie et en graisses saturées, est régulièrement associée à un surrisque de cancer colorectal. Or ici, les données paraissent inverser la tendance. Cette contradiction pose de nouvelles questions sur la place exacte des graisses dans notre alimentation et leur impact sur la santé intestinale.
Des études menées sur des modèles animaux ouvrent des pistes : certains types spécifiques de graisses saturées, notamment l’acide laurique et l’acide caprylique présents dans l’huile de coco ou les produits laitiers, semblent renforcer la résistance de la barrière intestinale et diminuer l’inflammation. D’autres recherches indiquent que l’origine des graisses saturées (animale ou végétale) influencerait leur impact, mais aucune règle absolue ne s’impose.
Graisses mono- et polyinsaturées : résultats en demi-teinte
S’il est un résultat qui interpelle, c’est la neutralité des effets des graisses mono- et polyinsaturées. Ces matières grasses, abondantes dans le fameux régime méditerranéen, sont bien souvent associées à une baisse du risque de nombreux cancers. Or ici, aucune association claire n’a été observée.
Il existe cependant un bémol méthodologique : les oméga-3 marins, généralement considérés comme protecteurs (en particulier contre le cancer colorectal), étaient regroupés ici avec les oméga-6, beaucoup plus présents dans l’alimentation industrielle. Ce regroupement a pu masquer l’effet spécifique des EPA et DHA issus du poisson, déjà bien documenté ailleurs pour leur effet bénéfique.
Les différentes graisses en résumé
Pour mieux comprendre, voici un schéma reprenant les principaux types de graisses :
-
Graisses saturées
- Présentes dans : beurre, crème, produits laitiers, coco, viande
- Effet : potentiellement protecteur selon certaines études, mais résultat variable selon la source
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Mono-insaturées (MUFA)
- Présentes dans : huile d’olive, avocat, certaines noix
- Effet : pas d’effet protecteur significatif observé ici
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Polyinsaturées (PUFA)
- Oméga-3 (EPA, DHA, ALA) : poissons gras, huiles de colza/lin
- Oméga-6 : huiles de tournesol, maïs, soja
- Effet : résultats neutres, mais peut dépendre du sous-type d’acide gras
Se méfier des acides gras trans
Parmi la diversité des graisses, un groupe se détache systématiquement par son effet nocif : les acides gras trans industriels. Utilisés pendant des décennies dans l’industrie agroalimentaire (viennoiseries, produits ultra-transformés), ils s’avèrent nettement associés à une augmentation du risque de cancer du rectum. De tels résultats ont abouti à leur interdiction dans plusieurs pays.
À noter que les graisses trans « naturelles » issues d’aliments non transformés (viandes, produits laitiers) ne produisent pas cet effet négatif. La structure et le contexte alimentaire semblent donc compter bien plus que la seule catégorie biochimique.
À éviter en priorité :
- Margarines hydrogénées
- Viennoiseries industrielles
- Pâtes à tarte du commerce
- Snacks et biscuits emballés
L’impact de la source des graisses : animal ou végétal ?
Contrairement à une idée reçue, la source animale ou végétale, prise isolément, ne peut prédire le risque de cancer colorectal. Si le beurre et la viande contiennent tous deux des graisses saturées, leur effet sur la santé intestinale n’est pas équivalent. En fait, tout dépend du profil d’acides gras et de l’aliment dans son ensemble.
Certains acides gras saturés des produits laitiers et de la noix de coco semblent, selon d’autres études, influencer favorablement la barrière intestinale. À contrario, une consommation élevée de viandes rouges, riches en certains autres acides gras saturés ainsi qu’en fer héminique, reste associée à un risque augmenté.
Le cas des produits laitiers mérite une attention particulière. Plusieurs analyses montrent une association régulière entre la consommation régulière de lait ou de fromage et une baisse du risque de cancer colorectal, effet qui ne se retrouve pas forcément avec d’autres sources de graisses saturées.
Voici un tableau récapitulatif issu de différentes études :
Source de graisse | Risque de cancer colorectal |
---|---|
Beurre/lait entier | Diminution |
Viande rouge grasse | Augmentation |
Huile de coco | Diminution (expérimental) |
Graisses végétales variées | Neutre/variable |
Acides gras trans industriels | Augmentation |
Recommandations et quantités
La quantité de graisses saturées qui semblait être la plus « optimale » dans l’étude atteignait près de 40 g par jour, soit largement au-dessus des recommandations officielles (moins de 10 % des calories totales, ce qui correspond à 22-28 g/jour pour un régime de 2 000 à 2 500 kcal).
Cependant, des apports plus « modérés » (20 à 30 g/j) semblent également protecteurs, même si cet effet est atténué comparé à la tranche la plus élevée observée dans les données.
Pour mémoire :
- 10 g de beurre : 8 g de graisses saturées
- 100 ml de crème entière : 7 g
- 30 g de fromage : 6 g
Cette marge de manœuvre doit toutefois être interprétée avec prudence, chaque individu ayant des besoins et des sensibilités différents.
Certains acides gras saturés, des alliés ?
L’acide laurique (huile de coco, lait maternel), l’acide caprylique (huile de coco, lait de chèvre) et dans une certaine mesure l’acide myristique (produits laitiers) émergent dans la littérature comme potentiellement bénéfiques, grâce à leur action sur la production de mucine intestinale (couche protectrice de l’intestin) et la réduction de l’inflammation.
Les études animales illustrent que la matrice alimentaire et l’effet sur le microbiote intestinal sont déterminants, bien plus que l’apport isolé d’un acide gras ou d’une source. Il en ressort que la diversité des sources et la complémentarité des nutriments priment sur la recherche du « gras idéal ».
D’autres facteurs majeurs en jeu
L’histoire du cancer colorectal ne s’écrit pas seulement à travers les nutriments. Fibres alimentaires (fruits, légumes, céréales complètes), consommation de sucre et d’aliments ultra-transformés, exercice physique, tabac ou alcool pèsent aussi fortement dans la balance du risque.
Le profil global de l’alimentation se révèle bien plus déterminant que la simple addition d’ingrédients : le contexte alimentaire (apport en micronutriments, équilibre entre fibres et protéines, degré d’ultra-transformation) module probablement les effets sur le cancer colorectal.
Certaines pratiques favorisent la prévention :
- Privilégier une alimentation riche en fibres (légumineuses, céréales complètes, légumes)
- Favoriser les sources variées de bonnes graisses (huile d’olive, poissons gras, noix)
- Limiter les produits ultra-transformés, tels que la charcuterie, et riches en acides gras trans
- Maintenir une consommation raisonnable de viandes rouges et de charcuteries
Complexité et prudence dans l’interprétation
Les apports scientifiques récents montrent que ni la diabolisation ni la glorification excessive d’un type de gras ne sont justifiées. Les contextes individuels, la qualité des sources et la diversité alimentaire jouent un rôle-clé, tout comme la façon dont les aliments sont associés dans l’assiette.
Plutôt que de stigmatiser ou d’idéaliser tel ou tel type de graisse, ces travaux invitent à développer une approche fondée sur la variété, la qualité des aliments et leur intégration dans le mode de vie général. Nul besoin de craindre ou de bannir totalement les graisses saturées, mais il semble plus judicieux d’y veiller attentivement, en privilégiant les sources naturelles, non transformées, et en accompagnant leur consommation d’habitudes alimentaires bénéfiques à l’intestin.
Le dialogue entre recherche scientifique, conseils nutritionnels et réalité du consommateur doit se poursuivre, afin d’enrichir la compréhension collective et d’offrir à chacun des repères fiables, adaptés à la complexité humaine.